Pour visionner la totalité des images réalisées, samedi 13 juillet 2013, lors du vernissage de l’exposition Ferdinand Springer au Site-Mémorial du Cap des Milles, cliquer sur le lien ci-dessous :
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Bonne consultation.
Un article d’Alain Paire dans le courrier LE COURRIER D’AIX du samedi 13 juillet 2013
ENTRE 1939 et 1942, plus de 10.000 personnes furent internés au camp des Milles. Parmi les habitants de l’ancienne tuilerie, il y avait de nombreux intellectuels antinazis, deux Prix Nobel scientifiques, des architectes, des musiciens, des comédiens, des écrivains et des artistes, des figures majeures de l’histoire de l’art du XX° siècle comme Hans Bellmer, Max Ernst et Wols. Le Site-Mémorial du camp des Milles a décidé pour sa première exposition temporaire de mettre en lumière la singularité du parcours d’un quatrième artiste : une centaine d’oeuvres et documents de Ferdinand Springer (1907-1998) sont présentés ce samedi 13 juillet, jour de l’inauguration d’une salle d’exposition qui complète le dispositif du Site du Camp des Milles à présent ouvert au public depuis septembre 2012. Ferdinand Springer a 32 ans lorsqu’il est interné aux Milles, en novembre 1939. En tant que ressortissant allemand, il est devenu un «suspect», un ennemi potentiel pour la Troisième République qui entre en guerre. Il est né à Berlin. Du côté de son arrière-grand père paternel, il appartient à une grande famille d’éditeurs scientifiques. Ses études aux Beaux-Arts s’effectuent à Zurich, à Milan et à Paris où il s’installe en 1928. Il n’a pas directement éprouvé les violences de la montée du nazisme, il ne fait pas partie de la grande vague des exilés de 1933.
Parce qu’il ne veut plus retourner dans son pays natal où toute tentative de création authentique relève de «l’art dégénéré», Ferdinand Springer est devenu un apatride. En 1938, il expose déjà ses travaux aux Etats-Unis et en Angleterre. Dans un livre d’entretiens avec Emmanuelle Foster (éd. Ides et Calendes, 1995) il définit sa situation personnelle : « je ne me sentais pas allemand, mais pas français non plus». Il épouse une artiste, peintre et sculpteur, Marcelle Behrendt, ses beaux-parents sont des juifs allemands. Ce mariage achève sa rupture avec sa famille : « En 1936, mon père m’a demandé de divorcer parce que ma femme était juive
Je devais écrire un procès-verbal de répudiation chez un avocat de Berlin. J’ai donc refusé
Mon père m’a alors fait signer un papier de renonciation à mon héritage. »
Ferdinand Springer a raconté son arrivée aux Milles. Il avait été préalablement détenu dans un premier camp de rassemblement, au Fort carré d’Antibes : «Nous soulevions en marchant un énorme nuage de poussière – la poussière des briques, de la terre, de la paille – et ma première vision en entrant dans ce camp a été, à travers cette espèce de brouillard, un peu à l’écart comme une apparition irréelle le visage de Max Ernst.» Sa période d’internement aux Milles dure jusqu’en avril 1940. Il fut plusieurs fois malade ; il eut tout de même l’occasion de composer une série de cinquante dessins qu’il conserva précieusement, jusqu’au terme de sa vie.
Des hommes de brique.
Ses dessins ne nous permettent pas de comprendre précisément la vie quotidienne du camp. On aperçoit des silhouettes d’hommes dénudés et musclés, les titres indiquent qu’il s’agit des Acrobates, du Laveur de linge, des Coupeurs de bois ou bien de La douche des Milles. Ce sont des feuillets élégamment griffonnés, il ne s’agit en aucun cas d’un reportage. On ne perçoit pas la pénombre de la tuilerie, rien n’évoque les dortoirs, les repas pris en commun ou bien les militaires ardéchois qui furent les gardiens du camp. Au beau milieu de ces dessins pour ainsi dire mythologiques, on entrevoit quelques exceptions, des silhouettes plus mélancoliques, des portraits de prisonnier ainsi qu’un jeune souabe qui pose plusieurs
fois : ses grosses mains s’appesantissent sur ses genoux, il était affecté au nettoyage des latrines.
Aux Milles, Ferdinand Springer ne fréquenta pas vraiment Max Ernst qui fut libéré peu avant Noël 1939. En revanche, il noua amitié avec Hans Bellmer. Ce dernier admirait la technique florentine de Springer. Par contre, il ne supportait pas son classicisme, sa posture «idéalisante», à ses yeux un déni de réalité. Toujours dans ses entretiens avec Emmanuelle Foster, Ferdinand Springer évoque la féroce ironie, les violents sarcasmes de Bellmer à propos de ses dessins.
Bellmer qui fut le compagnon d’infortune de Springer jusqu’à la fin de juillet 1940, éprouvait pourtant grande estime pour les talents et la culture de son ami. Il a campé son visage sur un petit format, à l’intérieur d’une structure qui rappelle aussi les portraits qu’il a livrés de Max Ernst, submergé par les briques du camp : sur les 21 x 23 cm de son feuillet, on appréhende un front qui médite, un regard inquiet et vigilant et puis surtout un assemblage géométrique qui rappelle invinciblement l’enfermement à l’intérieur du camp.
À Grasse, l’amitié de Magnelli et d’Hans Arp.
L’oeuvre de Springer obéissait à de lentes maturations : cet homme était fondamentalement un «classique», un amoureux de l’Italie et de la lumière méditerranéenne. Il fut piégé au camp des Milles, il s’est trouvé dans l’une des grandes catastrophes de l’histoire européenne. En tant que citoyen, il perçoit lucidement l’engrenage infernal qui pourrait le broyer : parmi les internés, on rencontre des allemands qui viennent d’échapper aux premiers camps de concentration allemands. Curieusement, Springer maintient pourtant ses premières positions esthétiques de l’avant-guerre et ne donne pas raison à Bellmer.
Son art se métamorphose quelques mois plus tard, c’est l’un des centres d’intérêt de cette exposition qui établit clairement qu’il y eut pour cet artiste un «avant» et un «après» deuxième Guerre mondiale. Après ses séjours dans les camps ou bien chez les prestataires de Forcalquier, Springer est libéré. Il retrouve son épouse et sa maison-atelier de Grasse, une cité à cette époque habitée par des artistes de premier plan qui furent ses amis : Alberto Magnelli, Hans Arp, Sophie Taubauer et Sonia Delaunay.
Dans deux vitrines de l’exposition des Milles, on découvrira sur très petits formats des fragments de deux carnets qui témoignent aigüment de son évolution. L’exemple de ces amis artistes achève de le convaincre : un monde ancien s’est écroulé, il lui faut trouver de nouvelles formes et de nouvelles couleurs pour mieux représenter son environnement immédiat. Dans les travaux de cette époque, la figure humaine cesse d’occuper la place centrale.
Gravures et huiles sur toile, la lente mue d’un artiste (1945-1998)
Après la Libération, Springer va vivre entre Grasse et Paris, prendre contact avec des ateliers de graveur, poursuivre la publication de livres à tirage limité. La quête d’une lumière et d’un paysage «intérieur» deviennent l’axe majeur de son oeuvre. Les peintures de grands et et moyens formats, les aquarelles et les gravures regroupés aux Milles jalonnent quelques-unes des étapes de son travail. Springer ne peut pas être classé parmi les révolutionnaires et les avant-gardistes. Des formes, des couleurs et des reliefs apaisés, un mixte harmonieux recherché entre figuration et abstraction, une synthèse infiniment délicate innervent sa problématique.
Dans le domaine de la gravure, on appréciera ses inventions réalisées avec des cuivres découpés. La maquette d’un livre dont le projet fut abandonné, la superbe gravure d’un «Grand galet» ainsi que plusieurs correspondances adressées au poète, témoigneront de son amitié avec Francis Ponge qui fut son voisin entre Vence et Grasse, sur les hauteurs de Bar-sur-Loup. Springer aimait répéter qu’auprès de la grande presse à graver de son atelier de Grasse, il avait le sentiment de parvenir à «remplacer son sol perdu par une plaque de métal».
Ferdinand Springer a traversé passionnément les conflits et les bonheurs de son siècle. Regardant son oeuvre, on songe inévitablement au terrible contexte du camp des Milles. Simultanément, on perçoit comment les hommes de son époque ont su se ressaisir et reconstruire les itinéraires de leurs vies. Voici l’un des points que Francis Ponge remarquait dans son travail : « Ferdinand Springer s’occupe plutôt de fenêtres. De fenêtres d’ailleurs, ne donnant nullement sur l’extérieur : leur lumière, c’est clair, vient principalement d’elles-mêmes. Du coup, voici la joie revenue … Le monde qui s’y reflète est celui de notre désintéressement, de notre fierté, de notre amour ».
Alain PAIRE